Comment chrétiens et musulmans parlent-ils de Dieu ?
D’emblée, un aspect s’impose : christianisme et islam (auquel il faudrait ajouter le judaïsme) sont des
religions monothéistes. Le credo chrétien commence par ces mots : « Je crois en un seul Dieu » et les
musulmans déclarent : « Pas d’autre dieu que Dieu » (Allah). Le décret du concile Vatican II sur les
religions non chrétiennes déclare
« l’Eglise regarde avec estime les musulmans qui adorent le Dieu un, vivant et subsistant,
miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, et qui a parlé aux hommes » (Nostra
1. Il convient d’emblée de préciser de quel point de vue nous parlons de Dieu. S’il s’agit de Dieu avec lequel
la créature humaine est en relation par l’acte de foi, la prière, le désir d’accomplir sa volonté, de lui plaire et
même de l’aimer (ce qui est vrai dans le courant mystique de l’islam), en tant qu’entité éternelle, créatrice,
bienveillante … christianisme et islam peuvent se reconnaître sans trop de difficulté. De même, une approche
métaphysique révèle de nombreuses similitudes.
Mais une convergence aussi apparente, soulignée par le choix des qualificatifs que retient le Concile, ne peut
pas laisser dans l’ombre des différences et même des oppositions radicales. La façon dont chrétiens et
musulmans parlent de Dieu est très différente.
- L’islam insiste très fortement sur l’unicité de Dieu et ne peut pas accepter la révélation du
christianisme portant sur le fait que Dieu est Père, Fils et Esprit. La notion de Trinité n’est pas
comprise. Elle est refusée au nom du rejet du polythéisme.
(Pour être plus précis, utilisons le mot « associationnisme -chirk – d’où est tiré : associateurs – al
mouchrikoun – cf. sourate 9, verset 5)
Le texte du Coran est généralement compris par la tradition musulmane pour estimer que les chrétiens ( qui
sont des al-mouchrikoun) ont altéré, voire falsifié les Ecritures bibliques pour leur faire affirmer la Trinité
Non seulement, il ne peut pas y avoir plusieurs personnes en Dieu=Allah mais encore il ne peut pas y avoir
d’incarnation. Celle-ci, pour l’islam, est une atteinte à la transcendance de Dieu=Allah. En effet, l’islam
estime que Dieu=Allah est très proche de l’être humain, mais également d’une nature totalement différente de
lui. Les musulmans refusent « d’associer » toute créature à Dieu. Il n’est donc ni possible ni sérieux
d’affirmer qu’un être puisse être vrai Dieu et vrai homme (Coran 3,59 ; 5,72 ; 43,59).
Il faut bien dire que l’impression qui émane d’une lecture du Coran par les chrétiens est que son information
concernant le christianisme est très pauvre et bien souvent inexacte.
- Le Coran refuse la mort de Jésus sur la croix. En réalité, dit-il, la crucifixion de Jésus fut pour les témoins
de la scène une apparence ou une illusion (certains commentateur parleront plus tard d’un sosie qui aurait été
crucifié à la place de Jésus, que Dieu a élevé auprès de lui). De ce fait, il n’y a plus de salut qui vienne par le
Christ Jésus (Coran 4,157-159). Celui-ci est seulement un grand prophète, né de la Vierge Marie, qui est venu
apporter aux hommes l’Évangile, un message provenant réellement de Dieu, mais qui a été déformé par les
chrétiens. Jésus est donc un simple homme.
Pour l’islam, Jésus étant prophète, subit normalement des épreuves, mais puisqu’il est vraiment un envoyé
de Dieu, il ne peut connaître d’échec final.
- L’islam ignore toute médiation et rejette ce qui lui semble être un obstacle entre Dieu et les hommes alors
que pour le christianisme le salut est donné par le Christ, le seul médiateur entre Dieu et les hommes.
- Pour l’islam comme pour le christianisme, Dieu parle aux hommes et il existe des Écritures saintes. Mais les
conceptions de la révélation sont très différentes : le Coran est le fruit d’une dictée de Dieu=Allah à
(par l’intermédiaire de l’ange Gabriel, ce même ange de l’Incarnation qui a annoncé à la Vierge Marie qu’elle
deviendrait la Mère du Sauveur- un même ange, deux révélations opposées !!!),
il est la parole de Dieu=Allah telle que Dieu=Allah lui-même l’exprime et la prononce. On ira jusqu’à dire
que le Coran est éternel et incréé. Mais cette position majoritaire est, aujourd’hui, l’objet de débats parmi les
savants et croyants musulmans. Certains, parmi eux, n’hésitent pas à parler d’interprétation du Coran.
Pour les chrétiens, c’est Dieu qui a inspiré les auteurs bibliques qui ont rédigé les livres de la Bible en se
servant des mots et des formes littéraires de leur temps.
- Pour les musulmans, les affirmations du Coran ont l’autorité de la Parole de Dieu=Allah. De ce fait, le
dialogue dogmatique est rendu bien difficile sur ces questions essentielles. Sans ignorer ces différences
fondamentales, il faut noter que le dialogue est possible sur d’autres domaines de la foi, comme la prière, ( à
condition de supprimer toutes les références aux associateurs !) la vie morale, (à condition de supprimer les
références au djihad, à la répudiation) la création, le sens de l’homme ( Al Mektoub, le fatum – destin tracé
2. Il convient d’approfondir cette question en relevant avec soin des points d’appui pour un vrai dialogue.
Vatican II a cette phrase : « Le dessein de salut enveloppe également ceux qui reconnaissent le Créateur,
en tout premier lieu les musulmans qui professent avoir la foi d’Abraham, adorent avec nous le Dieu
unique, miséricordieux, futur juge des hommes au dernier jour » (Lumen gentium n° 16).
Et oublier la sourate 109 :
« O vous les infidèles, je n’adore pas ce que vous adorez,
Et vous n’êtes pas adorateurs de ce que j’adore ! »
Cette phrase du Concile utilise l’expression « adorent avec nous », ce qui montre une relation réelle entre les
croyants tournés ensemble vers le Dieu Créateur. Les points communs sont soulignés également dans cette
citation lorsqu’elle indique un certain nombre de caractéristiques dans lesquelles chrétiens et musulmans
Exemple : Sourate 80, versets 17-21 :
« Que périsse l’homme ! Qu’il est ingrat !
De quoi [Allah] l’a-t-il créé ? D’une goutte de sperme, il le crée et détermine [son destin]
Puis il lui facilite le chemin, puis il lui donne la mort et le met au tombeau. »
Notre perception du mystère de Dieu n’est pas la même. Pour les chrétiens, l’incarnation du Fils de Dieu a
transformé les choses : « Dieu, personne ne l’a jamais vu, le Fils Unique qui est tourné vers le sein du
Père, nous l’a fait connaître » (Jean 1,18).
Le dialogue théologique portant sur Dieu se construit dans un climat dans lequel on se livre personnellement
dans son intimité. Il demande de la sympathie entre les interlocuteurs. Mais il exige en même temps une réelle
clarté de l’identité de la foi chrétienne. Ce que le Christ nous a fait connaître de Dieu est d’une exceptionnelle
richesse : contempler la Trinité et en parler, c’est montrer comment elle est la source de notre vie spirituelle et
de notre manière de nous comporter.
Il est bon de renvoyer à l’allocution du Pape Jean-Paul II à Casablanca pour de jeunes musulmans, le 19
août 1985 (voir DC 1985, pp. 942-946). En voici quelques extraits :
« Je crois que nous, chrétiens et musulmans, nous devons reconnaître avec joie les valeurs religieuses que
nous avons en commun et en rendre grâce à Dieu. Les uns et les autres, nous croyons en un Dieu, le Dieu
unique, qui est toute justice et miséricorde ; nous croyons à l’importance de la prière, du jeûne et de
l’aumône, de la pénitence et du pardon ; nous croyons que Dieu nous sera un juge miséricordieux à la fin des
temps et nous espérons qu’après la résurrection, il sera satisfait de nous et nous savons que nous serons
satisfaits de lui. La loyauté exige aussi que nous reconnaissions et respections nos différences. La plus
fondamentale est évidemment le regard que nous portons sur la personne et l’œuvre de Jésus de Nazareth.
Vous savez que, pour les chrétiens, ce Jésus les fait entrer dans une connaissance intime du mystère de Dieu et
dans une communion filiale à ses dons, si bien qu’ils le reconnaissent et le proclament Seigneur et Sauveur.
Ce sont là des différences importantes, que nous pouvons accepter avec humilité et respect, dans la tolérance
mutuelle ; il y a là un mystère sur lequel Dieu nous éclairera un jour, j’en suis certain » (p. 945).
Enfin, dans son récent voyage apostolique en Turquie, le Pape Benoît XVI a déclaré aux responsables des
affaires religieuses du pays :
« Le Pape Grégoire VII parlait de la charité spéciale que se doivent réciproquement les chrétiens et les
musulmans puisque « nous croyons et nous confessons un seul Dieu, même si nous le faisons de manières
diverses, chaque jour le louant et le vénérant comme créateur des siècles et souverain de ce monde »
(Patr. Latine, 148, 451 – cf. D.C. 2007 p. 12).
† Pierre-Marie CARRÉ Président de la Commission doctrinale