IGNORANCE ET MANQUE DE FOI
Au commencement de la conquête, nous voyons le Berbère chrétien abjurer ou reprendre ses croyances
comme il quittait ou remettait son burnous. Ocba lui-même en est scandalisé !
« Quand un iman, disait-il, entre en Ifrikia, les habitants de ce pays se mettent à l'abri du danger en faisant
profession de l'islamisme ; mais aussitôt que l'iman se retire, ces gens-là retombent dans l'infidélité ! »
C'est-à-dire une personne revêtue de l'autorité spirituelle et temporelle comme l'étaient les généraux d'alors
qui agissaient comme les représentants du khalife (DE SLANE).
En fait, c'est ce que nous avons vu dans le chapitre précédent, chez le premier héros de l'indépendance,
Koceila, comme chez les fils de la Kahéna, et le chef de la grande tribu des Magraoua.
La cause de cette lamentable conduite doit être cherchée dans le manque de conviction et, par suite,
d'instruction de la masse chrétienne.
L'adoption du christianisme avait été, à l'époque byzantine, une simple formalité pour recevoir l'aman. Le chef
d'une tribu, en recevant les insignes de sa royauté, faisait profession de christianisme, s'engageait pour son
peuple, et la tribu était censée chrétienne. Des prêtres devaient ensuite, il est vrai, aller instruire les nouveaux
chrétiens. Mais, comme nous l'avons dit plus haut, ces prêtres byzantins ne sachant pas la langue indigène,
quels résultats durables pouvaient-ils obtenir ?
Aussi l'on comprend la facilité avec laquelle ces chrétiens sans instruction devaient jouer avec l'apostasie.
Nous avons parlé au long, dans un chapitre précédent, de cette apostasie qui, dans le Magreb, a dû être
générale puisqu' aucune partie de ce pays n'a été classée dans la catégorie des terres anoua c'est-à-dire de
celles occupées par les infidèles non convertis à l'Islam et soumises au tribut.
Si nous pouvions distinguer entre les territoires qui ont été reconnus par les Arabes comme anoua, solah,
(ceux qui ont fait l'objet de traités librement consentis) et ceux qui, ne portant ni l'un ni l'autre surnom, ont
appartenu à des apostats passés à l'Islam, nous connaîtrions la proportion exacte des régions de l'Afrique où
les indigènes chrétiens ou juifs, ont conservé la pratique de leur religion, et celle où ils ont apostasié, mais les
auteurs avouent sur ce point leur ignorance complète. Tels Sahnoun et Ali ben Ziad, relativement à l'Ifrikia (E.
MERCIER, La propriété indigène en Magreb, Rec. Const. ., XXXII, 1899, p. 327 etc.)
Ce fait nous est prouvé par la grande révolte de 840, laquelle a été motivée par la prétention du gouverneur
arabe de Tanger de soumettre les Berbères musulmans au khraradj lequel ne pouvait être exigé que des
Quant aux chrétiens qui voulurent tout d'abord continuer à pratiquer leur religion et se résignèrent à payer
l'impôt, ils se fatiguèrent bien vite, à l'exemple des Coptes.
Cfr. MERCIER, Rist. Afr. Sept., 1, p. 35o etc.
Nota. Il est vrai que plusieurs tribus du Magreb ont vaillamment combattu les Arabes pour défendre leur
liberté. Mais leur adhésion subséquente à l'islam les a lavés de ce crime et les terres ainsi que les personnes
ont été ainsi exemptes d'impôt. La Mecque elle-même a été dans ce cas.
Cfr. Etude historique sur la nature de la propriété foncière dans les pays musulmans, d'après Amari, Kec.
L'impôt de l'Egypte, dit Dozy, sous le khalifat d'Othman, était de moitié supérieur à ce qu'il fut, fort peu de
temps après, sous le khalifat de Moawia, parce que, dans l'intervalle, la majeure partie des chrétiens coptes
avaient accédé à l'islamisme. Cfr. FROIDEVAUX, Dict. dHist. et de Géogr. eccl., I, p. 862.
La lettre est datée A. H. 132. CARDONNE, Rist. de l'Afrique et l'Espagne, 1, p. 168; Cfr. GIBBON, 1. c., X,
Un demi-siècle à peine après l'expulsion des Byzantins, c'est-à-dire en 749, le gouverneur de l'Afrique, Abd er
Rahman, écrivait au khalife Abou'l Abbas, le premier des Abbassides, qu'il ne pouvait plus rien lui envoyer,
parce que le tribut payé par les infidèles se trouvait aboli par leur conversion Du reste, l'impôt ne devait pas
produire beaucoup, depuis 717, année où Omar II avait retiré leur privilège aux chrétiens et leur avait enjoint
d'embrasser l'islamisme ou de s'exiler.
Sans doute quelques groupes chrétiens ont pu acheter le droit de survivre à l'édit d'Omar, et de vivoter
jusqu'au XII° siècle. Il n'en reste pas moins avéré que, dès le VIII° siècle, l?Eglise d'Afrique a été frappée à
mort et que les deux principales causes de cette mort ont été :
1° Le peu de progrès faits par elle parmi l'élément indigène.
2° L'apostasie presque générale des chrétiens, au moment de l'épreuve. (Notons que beaucoup d?entre
« En déplorant, dit le P. Cahier, les maux que la conquête musulmane a fait subir à l'Eglise d'Afrique, on ne
peut s'empêcher de reconnaître qu'un si terrible fléau ressemble beaucoup à un châtiment. »
Les chrétiens du VIIe et du VIII° siècle auraient pu dire ce que Salvien disait de leurs pères, lors de la
« Nos iniquités ont forcé le Seigneur à nous envoyer ce fléau vengeur ... »