La question de droit étant éclaircie, nous arrivons au point de fait :
Par quels moyens l?Islam a-t-il soumis l?Afrique ?
Le chapitre précédent sur l'islamisation a déjà répondu en partie à cette question. Toutefois, vu son
importance, il nous faut revenir en arrière et l'étudier au point de vue spécial indiqué plus haut.
Pour plus de clarté nous allons diviser les populations qui habitaient l'Afrique lors des invasions arabes, en
païennes, juives et chrétiennes.
Les tribus païennes formaient, comme nous l'avons vu, la masse des populations du Magreb. A leur égard, le «
crois ou meurs » a été pratiqué à la lettre.
Abou'l Mohadjir (675) conduisit la première expédition musulmane dans le Magreb.
« Il atteignit Tlemcen, dit Ez Ziani dans sa Tohfa, battit les tribus berbères et les força à embrasser l'islam. »
(Cf. Martin : Les Oasis Sahariennes, p. 54)
Ocba, jaloux des lauriers d'Abou'l Mohadjir, s'enfonça, plus loin encore dans le Magreb.
« En Ifrikia, nous dit Ibn Khaldoun `', il passa au fil de l'épée tous les chrétiens qui restaient » ;(1, p. 327. En
670, il alla, nous dit de son côté Ez Ziani jusqu'au Sous qu'il soumit et dont il islamisa de force les habitants.
Puis, il rétrograda vers l'Est en passant par le Faïdja, le Drâa, Sidjilmassa et le Touat, forçant toutes ces
contrées à devenir musulmanes. . » (682).
(Ez Ziani1. c dans Martin 1, c
Tous les historiens arabes sont d'accord pour nous représenter Ocba imposant partout l'Islam par la force et lui
mettre sur les lèvres, cette prière qu'il fait à Allah en poussant son cheval, au milieu des flots de l'Océan :
« Seigneur, si cette mer ne m'en empêchait pas, j'irais dans les contrées éloignées et dans le royaume de Dzou
et Karnaïn, - en combattant pour ta religion et en tuant ceux qui ne croient pas en ton existence ou qui adorent
d'autres dieux que toi ''. (En Nouaïri (J.A.,XI, p. 125, 3° série, 1841 ; El Kairouani, lib.III, p. 47 ; Ibn El
Arthir, El Kamil, IV, p. 9
? (Ibn Abd et Hakem nous dit ce que fut sa campagne (666-667) clans le Oueddan et le Fezzan : chefs mutilés
et impôt de 350 esclaves dans chacune des villes prises. Dans Ibn Khald., I, p. 3o9.) ?
(« Le possesseur des deux cornes » Koran, Sourate XVIII v. 82. Il s'agirait d'Alexandre le Grand, d'après El.
Maçoudi ( Mouroudj ed Dzahab, 1, p. 126) -
Mouça marcha sur les traces d'Ocba. Voici en effet ce que dit de lui Ibn Khaldoun à propos des Berbères de
« Les Berbères n'osaient lui opposer aucune résistance, et tous firent leur soumission pour éviter la mort. »
Cette soumission signifie certainement l'acceptation de l'Islam, puisque l'auteur ajoute aussitôt :
« Un petit nombre d'Arabes resta avec eux pour leur apprendre le Coran et les devoirs de l'islamisme. » (I, p.
Hassan a imité Mouça : il a ordonné en 699 aux deux fils de la Kahéna accompagnés chacun de 6000
Djeraoua, apostats comme eux, de pénétrer dans le Magreb, d'exterminer les Roum ainsi que les Berbères
restés à l'état d'impiété. (Cf. Fournel : Les Berbers, I, p. 224)
Enfin, sous Omar ibn Abd el Aziz (717) lsmaïl, nous dit toujours Ibn Khaldoun, remplit parfaitement les
devoirs de sa charge (il était gouverneur) et imposa la foi musulmane aux Berbères qui n'avaient pas encore
embrassé cette religion. (I, p. 356)
Comme les Berbères païens étaient l'immense majorité de la population indigène, il s'ensuit que la plus grande
partie du peuple autochtone a été en somme, converti par la force.
Quant aux chrétiens, comment ont-ils été traités?
« Abou Daoud de Médine, d'après le Journal Asiatique, rapporte que le prophète, après avoir promis aux Juifs
de rester à Khaïbar (Omar les en a chassés plus tard) pour cultiver le pays, accorda également la paix aux
chrétiens de Nedjran, ville du Yémen, à la condition qu'ils donneraient aux musulmans 1000 houlla (sorte de
vêtement...) et, à titre de prêts, 30 cuirasses, 30 chevaux, etc.
Les chrétiens de Nedjran, se portèrent garants de la complète consignation du tout, à la condition toutefois
qu'on ne détruirait pas leurs églises, qu'on n'exilerait point leurs prêtres, et qu'on ne les vexerait point
eux-mêmes dans l'exercice de leur religion, tant qu'ils ne donneraient à cela aucun motif et tant qu'ils ne
feraient point l'usure. » (N° de Nov.-Déc. 1851, p. 493)
On a conservé la teneur des engagements que signaient les chrétiens de Syrie en recevant l'aman d'Omar ibn et
« Au nom de Dieu clément et miséricordieux, ceci est écrit au serviteur de Dieu, Omar, prince des Croyants,
par les chrétiens de la ville de N.
« Quand vous êtes venus dans ce pays, nous avons demandé l'aman pour nous, nos familles, notre nation, et
nous avons pris envers vous les engagements suivants :
« Nous n'édifierons point de couvent ni d'église, ni de patriarcat, ni d'ermitage, dans nos villes et clans leurs
environs ; nous ne réparerons pas les ruines de nos églises (Il va sans dire que si les chrétiens consentaient à
aliéner cette liberté, ils se réservaient la faculté d?acheter ce droit chaque fois que cela serait nécessaire.) et
nous ne relèverons pas celles qui se trouvent dans les quartiers musulmans; nous donnerons, pendant trois
jours, l'hospitalité à tous les musulmans qui viendront chez nous; nous ne donnerons point asile aux ennemis
de l'état, ni dans nos églises, ni dans nos demeures; nous ne cacherons aux musulmans rien de ce qui pourrait
leur nuire, nous n'enseignerons point le Coran à nos enfants ; nous ne produirons point publiquement notre
religion ; nous ne ferons point de propagande et n'empêcherons aucun des nôtres de se faire musulman, si telle
« Nous traiterons les musulmans avec respect ; nous nous lèverons de nos sièges, à leur approche, s'ils veulent
s'asseoir; nous ne nous assimilerons point à eux dans les vêtements en quoi que ce soit, dans le calançoua,
l'imamé et les chaussures, pas plus que dans la division des cheveux ; nous n'emploierons pas les mêmes
expressions qu'eux dans le langage ; nous ne prendrons point leurs surnoms ; nous ne monterons point sur des
selles ; nous ne porterons point de sabre ni ne fabriquerons point d'armes, et nous n'en porterons point sur
nous ; nous ne ferons point graver nos cachets en arabe, nous ne vendrons point de vin ; nous nous raserons
les parties antérieures de la tête et nous nous habillerons de la même façon que par le passé ; nous porterons
une ceinture au milieu du corps ; nous ne mettrons point de croix sur nos églises, et nous ne laisserons point
voir nos croix et nos livres dans les rues ni dans les places des musulmans.
Nous n'agiterons nos cloches dans nos églises que très doucement; nous n'élèverons pas la voix clans l'église
en lisant en présence des musulmans ; nous ne porterons point au dehors des palmes ni des statues; nous ne
chanterons point en accompagnant nos morts, et nous n'allumerons point de cierges, à cette occasion, dans les
rues des musulmans ; nous n'aurons point vue sur leurs maisons, soit en les élevant à une hauteur qui dépassât
les leurs, soit de toute autre façon....
« Telles sont les conditions auxquelles nous nous engageons envers vous, nous et notre nation et, en vertu
desquelles, nous recevons l'aman. Si nous venions à contrevenir à quelqu'une de ces clauses pour lesquelles
nous nous donnons nous-mêmes en garantie, vous n'auriez plus alors d'obligation envers nous et il vous serait
licite de faire de nous ce qui vous plairait et de nous traiter comme des séditieux et des rebelles. » (Cf. Journ.
Asiat., IX p. 101, le XIX° de la IV°Série) ?
Nous avons voulu reproduire ce long document pour donner une idée des vexations auxquelles les chrétiens
pouvaient être soumis tout en gardant la liberté essentielle de leur culte.