— Mon dessein, répond Jésus, est de réformer les mœurs de toute la terre, de changer la religion de tous les peuples, de détruire le culte des dieux qu’ils adorent, pour faire adorer le seul Dieu véritable, et quelque étonnante que paraisse mon entreprise, j’affirme qu’elle réussira.
— Mais êtes-vous plus sage que Socrate, plus éloquent que Platon, plus habile que tous les génies qui ont illustré Rome et la Grèce ?
— Je ne me pique pas d’enseigner la sagesse humaine, je veux convaincre de folle la sagesse de ces sages, et la réforme qu’aucun d’eux n’eût osé tenter dans une seule ville, je veux l’opérer dans le monde entier par moi et par mes disciples.
— Mais, du moins, vos disciples, par leurs talents, leur crédit, leurs richesses jetteront un si grand éclat, qu’ils pourront entraîner après eux, la multitude ?
— Non, mes envoyés seront des hommes ignorants et pauvres, tirés de la classe du peuple, issus de la nation juive qu’on sait être méprisée de toutes les autres ; et cependant, c’est par eux que je veux triompher des philosophes et des puissants de la terre comme de la multitude.
— Recruterez-vous des légions pour employer la force des armes ?
— Non, rien de cela n’entre dans ma pensée. J’entends que mes envoyés soient doux comme des agneaux, qu’ils se laissent égorger par leurs ennemis, et je leur ferais un crime de tirer l’épée pour établir le règne de ma loi.
— Mais vous espérez donc que les empereurs, que les magistrats, que les gouverneurs de provinces favoriseront votre entreprise ?
— Non, toutes les puissances s’armeront contre moi ; mes disciples seront traînés devant les tribunaux ; ils seront haïs, persécutés, mis à mort, et pendant trois siècles, on s’efforcera de noyer dans des flots de sang ma religion et ses sectateurs.
— Mais qu’aura-t-elle donc de si attrayant, cette doctrine, pour attirer à elle toute la terre ?
— Ma doctrine, réplique Jésus, portera sur des mystères incompréhensibles ; la morale en sera plus pure que celle qu’on a enseignée jusqu’ici ; mes disciples publieront de moi que Je suis né dans une crèche, que j’ai mené une vie de pauvreté et de souffrances, et ils pourront ajouter que j’aurai expiré sur une croix, car c’est, par ce genre de supplice que je dois mourir. Tout cela sera hautement publié, tout cela sera cru parmi les hommes, et c’est moi qui vous parle, que la terre doit adorer un jour.
— C’est-à-dire, répond enfin le philosophe avec un ton de pitié, que vous prétendez éclairer les sages par des ignorants, vaincre les puissances par des hommes faibles, attirer la multitude en combattant ses vices, vous faire des disciples en leur promettant des souffrances, des mépris, des opprobres et la mort, détrôner tous les dieux de l’Olympe pour vous faire adorer à leur place, vous qui devez être, dites-vous, attaché à une croix comme un malfaiteur et le plus vil des esclaves. Allez, votre projet n’est qu’une folie, bientôt la risée publique en fera justice. Pour qu’il réussît, il faudrait refondre la nature humaine, et certes, la réforme du monde moral par les moyens que vous proposez, est aussi impossible que la réforme de ce monde matériel.
Ainsi, ce me semble, aurait pensé, aurait parlé ce philosophe à Jésus. Et cependant, ce qui était humainement impossible est précisément ce qui est arrivé : la folie de la croix a triomphé de l’univers, et voilà l’immortel monument de la divinité du christianisme.
Frayssinous, Conférences sur la religion, t. 1er, Fondation du christianisme.
SOURCE:
http://www.dominicainsavrille.fr/