LA TRINITÉ DANS L'ANCIEN TESTAMENT
Il est admis aujourd'hui que le mystère de la Trinité ne fut pas révélé publiquement dans l'ancienne alliance ni proposé à la croyance du peuple.
Dieu cependant, aux dires des Pères, a pu exempter de l'ignorance commune quelques privilégiés, qui étaient ses intimes et qui devaient ébaucher et commencer déjà, pour ainsi dire, l'économie chrétienne. Il convenait qu'ils eussent déjà comme un aperçu de l'Incarnation, et, par conséquent, une certaine connaissance de la Trinité, que suppose l'Incarnation.
C'est bien ce qui parait ressortir des paroles de Notre-Seigneur. Abraham tressaille en contemplant d'avance le jour du Christ :
Abraham, pater vester, exultavit ut videret diemvidit et gavisus est (Jean 8, 56)
Des rois, des prophètes, des justes, ont désiré aussi voir les temps messianiques : Multi prophetae et justi cupierunt videre (Matthieu 13, 17); multi prophetae et reges cupierunt videre quae vos videtis (Luc 10, 24). Ces désirs si véhéments semblent comporter une certaine connaissance de la divinité du Messie, — car pourquoi soupireraient-ils si ardemment après la venue d'un homme mortel comme eux ? — et donc aussi des rapports du Messie avec le Père qui l'envoie et avec,.., l'Esprit qui procède de Lui.
Il va sans dire que ces saints personnages étaient bien loin de cette plénitude de lumière qui fut plus tard communiquée aux Apôtres; mais, à titre d'amis de Dieu, ils ont dû, semble-t-il, savoir quelque chose de cette vie intime de la famille éternelle; à titre de précurseurs de l'économie future, ils ont dû, semble-t-il encore, entrevoir le règne du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Les Pères estiment que Dieu fit cette révélation aux patriarches ses amis, comme Abraham, aux grands législateurs de son peuple, comme Moïse, aux prophètes messianiques ; il suffira de citer, entre tant d'autres, saint Epiphane, saint Cyrille d'Alexandrie, saint Grégoire le Grand
Note : Il est admis aussi que l'Incarnation et, partant, la Trinité ont été révélées à Adam avant sa chute et aux anges dans l'état de voie. — « Adam, dit saint Thomas, eut la foi explicite de l'Incarnation, non pas en tant qu'elle comportait la passion et la mort du Christ, mais en tant qu'elle était ordonnée à la consommation de la gloire. » IIa IIae, q. 2, a. 7. — Quant aux anges, « ils n'ont pas entièrement ignoré, dit saint Augustin, le mystère du royaume des cieux qui a été révélé en temps opportun pour notre salut »
Or, saint Augustin parle ici de l'état de voie dont les bons anges sortirent triomphants. Saint Thomas ajoute : « Ce mystère du royaume de Dieu accompli par le Christ, tous les anges le connurent de quelque manière à l'origine » « Tous les anges, à l'origine, eurent une connaissance générale du mystère de l'Incarnation.
Mais, si ce mystère n'a pas été complètement ignoré, a-t-il été affirmé et exprimé avec assez de clarté dans les écrits de l'ancienne alliance? Les Pères ont découvert, sinon des affirmations catégoriques, au moins des indices du dogme, dans divers passages, dans diverses formules qui leur semblent pleines d'enseignements.
On peut ranger sous quatre chefs les textes de l'Ancien Testament dans lesquels ils ont cru voir une mention, une affirmation de la Trinité ou une allusion aux trois personnes.
D'abord, le pluriel employé dans les dialogues divins. Le Seigneur semble s'adresser à plusieurs personnes dans une même divinité :
Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance (Genèse 1, 26); voici que l'homme est devenu comme l'un d'entre nous (Genèse 3, 22); descendons et confondons leur langage (Genèse 11, 7).
Sur quoi saint Augustin fait ce raisonnement : « S'il n'avait que dit : Faisons l'homme, on pourrait penser qu'il s'adresse aux anges; mais cette interprétation est exclue par ce qui suit à notre image. Il n'est pas permis, en effet, de croire que l'homme soit fait à l'image des anges ou que Dieu et l'ange aient la même image. Il est donc raisonnable de voir ici la pluralité de la Trinité.»
Saint Fulgence ajoute : « L'unité de nature et la trinité des personnes nous sont indiquées à la première page des Saintes Ecritures, lorsque Dieu dit : Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. Si, en effet, le Père, le Fils et le Saint-Esprit n'étaient qu'une seule personne dans une seule nature, il ne serait pas dit :
à notre image, mais à mon image; ni : faisons, mais : je vais faire. »
M. J. Lebreton, dans un remarquable ouvrage auquel nous ferons plus d'un emprunt, a soigneusement indiqué tous les passages des écrivains ecclésiastiques qui peuvent servir à reconstituer l'histoire de l'interprétation de ce texte. Il conclut :
« La plupart des Pères voient dans « faciamus hominem » des paroles adressées par le Père au Fils, d'autres une sorte de délibération des personnes divines entre elles.
Le P. Lagrange donne cette explication, à laquelle se rallient les exégètes catholiques : « L'homme est créé à l'image de Dieu. L'auteur insiste trop sur ce caractère pour qu'on puisse supposer que le Créateur s'entretient avec les anges. L'homme n'est pas créé à l'image des anges. Dieu se parle à lui-même. S'il emploie le pluriel, cela suppose qu'il y a en lui une plénitude d'être telle qu'il peut délibérer avec lui- même comme plusieurs personnes délibèrent ensemble. Le mystère de la sainte Trinité n'est pas expressément indiqué, mais il donne la meilleure explication de cette tournure qui reviendra encore. (Gen., III, 22; Is., VI, 8 ) »
En second lieu, la répétition jusqu'à trois fois du mot Dieu ou de tout autre mot synonyme de la divinité. Le livre des Nombres met cette formule de bénédiction sur les lèvres des prêtres : Que Iahvé te bénisse et te garde ! que Iahvé te montre sa face et ait pitié de toi ! Que Iahvé tourne son image vers toi et te donne la paix (2)! — Non moins célèbres sont les paroles du Psalmiste : Que Dieu nous bénisse, notre Dieu, que Dieu nous bénisse (3) Le premier terme s'appliquerait au Père, le second au Fils, qui devient notre Dieu par l'Incarnation, le troisième au Saint-Esprit. — Enfin, le trisagion d'Isaïe : Saint, saint, saint Iahvé, Dieu des armées
On ne saurait conclure de ces expressions toutes seules à « une révélation certaine de ce mystère ; car la triple répétition d'un mot se rencontre ailleurs dans les affirmations solennelles : ainsi : Terre, terre, terre, écoute la parole de Iahvé ! (Jérémie, 22, 29 »
(1) P. LAGRANGE, Revue Biblique, 1896,387.
(2) Nombres., VI, 23-26.
(3) Ps., 7-8.
Mais, le dogme une fois connu à la lumière du Nouveau Testament, la piété peut légitimement rapporter cette triple bénédiction ou cette triple louange aux trois personnes divines.
En troisième lieu, les théophanies, c'est-à-dire les apparitions divines, dans lesquelles deux, ou même parfois trois personnes, semblent se manifester, comme à Membré : « Tres vidit et unum adoravit »
Saint Ambroise (2), saint Augustin (3), interprètent ainsi : Il vit trois personnes et adora un seul Dieu. C'est une pieuse adaptation, que l'Eglise fait sienne dans sa liturgie (4); mais qui peut affirmer qu'elle s'impose comme interprétation littérale du texte ? Aussi bien d'autres Pères traduisent avec saint Hilaire : Il vit trois hommes et n'en adora qu'un, pour confesser le Seigneur, reconnaissant les deux autres pour des anges (5).
Bon nombre de Pères et surtout saint Justin attribuent les théophanies à la seconde personne. Ils essayent de prouver par là que le Fils est distinct du Père : de lui-même le Père est invisible et il se manifeste à nous par le Fils; ils concluent que le Fils est une personne divine, puisqu'elle possède l'éternité, la science, la puissance, en un mot tous les attributs de la divinité (6).
(1) Genes., xvitt.
(2) S. AMBROS., In excessu Satyri, n, 96; P. L., XVI, 1342.
(3; S. AUGUSTIN, De Trinil., l'ib. 1I, 19-20; P. L. XL1I, 1357-858.
(4) Breviar. Roman., dominica quinquag., resp. 2.
(5) S. HILAR., De Trinil., IV, 25; P. L., X, 115. — LEBRETON, op. cit., p. 444.
(6) Ces textes ont été recueillis et exposés par le P. Dom LEGEAY, O. S. B., L'Ange et les Théophanies, dans la Revue Thomiste, 1902-1903.
S'il n'est pas possible d'accepter l'argument tiré des théophanies comme une preuve scripturaire certaine, il faut voir au moins dans l'explication des Pères un témoignage de la foi de la primitive Eglise et de la vénération avec laquelle on lisait ces divines Ecritures, dans lesquelles on croyait cachés tant da mystères.
En quatrième lieu enfin, on a cité cette prière du livre de la Sagesse : « Dieu de nos pères, qui avez tout créé par votre Verbe et qui avez constitué l'homme par votre sagesse..., qui pourra connaître votre pensée, à moins que vous ne lui donniez votre Sagesse et que vous ne lui envoyiez votre Esprit- Saint » On a remarqué ici les trois termes trinitaires : Dieu, ou le Principe premier, ensuite le Verbe ou la Sagesse, enfin l'Esprit-Saint.
Mais cet Esprit qui est envoyé est-il une personne divine ou un attribut ? Et s'il y a trois termes en Dieu, sont-ils trois personnes dans une seule nature divine? Les expressions donné, envoyé, s'appliquent bien mieux, assurément, à une personne qu'à une simple qualité infuse, et, d'ailleurs, le sage demande à être en rapport avec Dieu même et non pas seulement avec ses dons créés. Il semble, par conséquent, que la Sagesse donnée et l'Esprit envoyé sont bien des hypostases divines. Toutefois, pour arriver plus sûrement à la concision, nous avons besoin des lumières du Nouveau Testament,
C'est pourquoi, tout en cherchant des indications et des traces de la Trinité dans la première alliance, (in Sac., lx, 2-2, 17. —
Les Pères reconnaissent que la manifestation complète de ce mystère est la caractéristique de la Loi nouvelle (I). Si la lumière a été si discrète dans l'ancienne, c'est peut-être parce que les Juifs, enclins à l'idolâtrie, auraient été exposés à prendre les trois personnes pour trois dieux.
Saint Epiphane dit excellemment : « L'unité de Dieu a été surtout annoncée par Moïse ; la dualité (c'est-à-dire la distinction du Père et du Fils) a été inculquée par les prophètes; la Trinité a été manifestée dans l'Evangile. »
Saint Thomas distingue trois étapes dans la révélation : l'économie patriarcale, avant la Loi; puis, l'époque de la Loi; enfin, la période de la grâce, sous l'Evangile. A. l'origine, tous les croyants confessant l'unité de Dieu, la révélation était moins nécessaire; lorsque les hommes commencent à pervertir ce dogme fondamental, Dieu se révèle plus complètement à Abraham. Sous la Loi, la révélation est plus excellente encore, parce qu'il fallait instruire le peuple tout entier; et c'est pourquoi Moïse est éclairé plus complètement sur la simplicité et la nature divine, lorsque Dieu lui dit : Je suis Celui qui est. Enfin, au temps de la grâce, le mystère rie la Trinité est révélé par le Fils de Dieu lui- même.
http://resistance-catholique.org/documents/ACRF/St_LOUIS-MARIE_GRIGNION-Traite_vraie_devotion.pdf
22) La conduite que les trois Personnes de la Très Sainte Trinité ont tenue dans l'Incarnation et le premier avènement de Jésus-Christ, elles la gardent tous les jours, d'une manière invisible, dans la Sainte Église, et la garderont jusqu'à la consommation des siècles, dans le dernier avènement de Jésus-Christ.
23) Dieu le Père a fait un assemblage de toutes les eaux, qu'il a nommé la mer ; il a fait un assemblage de toutes ses grâces, qu'il a appelé Marie. Ce grand Dieu a un trésor ou un magasin très riche, où il a renfermé tout ce qu'il a de beau, d'éclatant, de rare et de précieux, jusqu'à son propre Fils ; et ce trésor immense n'est autre que Marie, que les saints appellent le trésor du Seigneur, de la plénitude duquel les hommes sont enrichis.
24) Dieu le Fils a communiqué à sa Mère tout ce qu'il a acquis par sa vie et sa mort, ses mérites infinis et ses vertus admirables, et il l'a faite trésorière de tout ce que son Père lui a donné en héritage ; c'est par elle qu'il applique ses mérItes à ses membres, qu'il communique ses vertus et distribue ses grâces ; c'est son canal mystérieux, c'est son aqueduc, par où il fait passer doucement et abondamment ses miséricordes.
25) Dieu le Saint-Esprit a communiqué à Marie, sa fidèle Épouse, ses dons ineffables, et il l'a choisie pour la dispensatrice de tout ce qu'il possède : en sorte qu'elle distribue à qui elle veut, autant qu'elle veut, comme elle veut et quand elle veut, tous ses dons et ses grâces, et il ne se donne aucun don céleste aux hommes qu'il ne passe par ses mains virginales. Car telle est la volonté de Dieu, qui a voulu que nous ayons tout par Marie : car ainsi sera enrichie, élevée et honorée du Très-Haut celle qui s'est appauvrie, humiliée et cachée jusqu'au fond du néant par sa profonde humilité, pendant toute sa vie. Voilà les sentiments de l'Église et des Saints Pères.