LE PETIT POUPON
Le petit poupon vient de naître : tout beau, tout rose, tout paisible. On croit au péché originel, mais on n'y est pas confronté immédiatement dans cette nouvelle progéniture, du moins d'une manière patente. On croit que c'est en grandissant, si elle n'est pas surprotégée, qu'elle se viciera avec le temps. En pensant cela, on n'est pas loin de penser comme Rousseau.
Le catholique d'aujourd'hui vit dans un monde profane et ecclésial, influencé par un grand nombre d'erreurs. Une des plus pernicieuses est celle de Rousseau sur l'état de la nature humaine.
Pour lui, l'homme naît bon et c'est la société qui le corrompt. Thèse séduisante, mais fausse, qui ne résiste ni à l'examen de la foi catholique ni à l'examen de l'expérience quotidienne..
Abbé Guy Castelain
Rousseau est né en 1712 à Genève. Il était calviniste. À 16 ans, il se convertit au catholicisme, pour quelques années. Ses œuvres principales sont : Émile, Le Contrat social, La Nouvelle ?Héloïse.
En 1762, il est condamné par l'archevêque de Paris pour ses idées exposées dans Émile. Il mène ensuite une vie errante, solitaire, se croyant victime de persécution. Il rédige alors les Rêveries du promeneur solitaire et les Confessions, qui sont une justification de soi. Il inaugure cette mode qui consiste à se peindre plutôt qu'à rechercher les principes vrais qui doivent régler l'existence : c'est la sincérité contre la vérité. Il se tient à l'écart du courant athée de Voltaire et matérialiste de l'Encyclopédie. Il ouvre en France l'ère romantique, mais tente de maintenir des sentiments moraux et religieux. Il meurt en 1778.
Mais comment meurt-il ???
« Jean-Jacques Rousseau s’est donné la mort : il n’est plus permis d’en douter, depuis que Me de Staël, son adepte et sa dévote, en a fait l’aveu dans ses lettres publiées en 1789, sur les ouvrages et le caractère de cet homme ; et surtout que depuis que son ami et son compatriote, M. Corancez, de Genève, en instruit le public par un écrit inséré, en l’an 6, dans le journal de Paris dont il était un des rédacteurs. La dénégation de M. Girardin chez qui il est mort, aussi bien que la relation équivoque et embarrassante des médecins, confirme le fait, au lieu de l’infirmer.
« Le cynisme des confessions de Rousseau décèle tout l’orgueil et toute la corruption de son âme. C’est là qu’il se vante d’avoir été libertin, et d’avoir outragé la nature dans les fruits de son libertinage, en plongeant ses enfants dès leur naissance, dans le gouffre d’un hôpital, sans permettre qu’il leur fût mis aucune marque à laquelle on pût un jour les reconnaître. C’est dans cette œuvre unique parmi les hommes, par son effronterie, qu’après avoir fait le récit de toutes ses turpitudes, il osa adjurer ses semblables devant Dieu, et défier hardiment qui que ce soit de se dire meilleur que lui. Voilà l’homme dont on ne parle cependant qu’avec une sorte de respect religieux. Voilà celui qui, par une suite du progrès des lumières, est devenu l’idole d’un culte aussi honteux que bizarre » in : Les prétendues lumières du commencement du 19° siècle en opposition avec le bon sens et la vérité A Besançon, Chez PETIT Editeur et Libraire – 1808
Son système politique inspirera les révolutionnaires.
La doctrine de Rousseau
Rousseau développe l'idée d'une évolution de l'humanité dans son Discours sur l'Origine de l'inégalité parmi les hommes. Il imagine les changements de l'homme à travers les millénaires. Pour lui, les vices ne sont point naturels, et c'est dans l'état du bon sauvage que réside le bonheur. L'innocence de l'homme est troublée et bouleversée par la vie en société. L'organisation sociale fixe cette corruption. C'est dans la lettre qu'il écrivit en 1762 à Monseigneur de Beaumont, archevêque de Paris qui avait condamné Émile, que l'on trouve le résumé le plus net de son système social :
« Le principe fondamental de toute morale, sur lequel j'ai raisonné dans tous mes écrits et que j'ai développé dans ce dernier [Émile] avec toute la clarté dont j'étais capable, est que l'homme est un être naturellement bon, aimant la justice et l'ordre ; qu'il n'y a point de perversité originelle dans le coeur humain, et que les premiers mouvements de la nature sont toujours droits. J'ai fait voir que l'unique passion qui naisse avec l'homme, savoir l'amour de soi, est une passion indifférente en elle-même au bien et au mal ; qu'elle ne devient bonne ou mauvaise que par accident, et selon les circonstances dans lesquelles elle se développe. J'ai montré que tous les vices qu'on impute au coeur humain ne lui sont point naturels. [...] J'ai fait voir comment par l'altération successive de leur bonté originelle, les hommes deviennent enfin ce qu'ils sont. [..] Voilà comment, l'homme étant bon, les hommes deviennent méchants » (d'après l'Histoire de la Philosophie par les textes, Éditions universitaires, 1995, vol. 2, pp. 155 à 165).
La doctrine de l'Église
Tout autre est la doctrine catholique dont voici le résumé : le premier homme, doté de la grâce sanctifiante n'était pas voué à la mort, il était exempt de concupiscence. Adam a péché et a perdu, par-là, les dons surnaturels et préternaturels. Le péché d'Adam est passé à tous ses descendants et affecte chaque homme. Le péché originel se transmet à la descendance d'Adam par la génération. Le péché originel est volontaire en raison de la libre décision d'Adam. Le péché originel se distingue du péché personnel par l'absence de consentement personnel. C'est pourquoi son châtiment ne comporte pas les supplices de l'enfer, mais seulement la perte de la vision béatifique. Le péché originel entraîne la perte de la grâce. Il a pour conséquences la mort et la concupiscence qui n'est point elle-même péché, enfin l'affaiblissement de l'intelligence et de la volonté, mais non la destruction du libre-arbitre. Le péché originel est effacé par le baptême. (La Foi catholique, G. Dumeige, Éditions de l'Orante, p. 171).
Citons Saint Paul, épître aux Romains - ch. 5, v. 12 : " Ainsi donc, comme par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort... Et ainsi la mort a passé dans tous les hommesparce que tous ont péché."
Les précisions de saint Thomas d'Aquin
Saint Thomas d'Aquin enseigne, dans sa Somme théologique (I. II q. 83) que le péché originel est dans l'âme, plus que dans la chair, qui est seulement le sujet de la peine (a. 1) ; qu'il affecte d'abord l'essence de l'âme (a. 2) et ensuite, par l'inclination qu'il donne pour le mal, il souille les puissances de l'âme et affecte spécialement la volonté (a. 3) ; que les trois puissances les plus affectées sont : les facultés concourant à la génération, la délectation du tact et le concupiscible (a. 4).
L'essence du péché originel
Le Docteur commun de l'Église enseigne (I. Il. q. 82) que, de même que la maladie corporelle détruit l'équilibre de la santé, le péché originel a troublé la belle harmonie dans laquelle consistait la justice originelle, et, depuis ce moment, notre nature est languissante : aussi appelle-t-on ce péché une langueur de la nature (a. 1) ; que le péché originel consiste essentiellement dans la privation de la justice originelle (a. 2), et matériellement dans la concupiscence ; que, par la justice primitive, la volonté humaine soumise à Dieu portait toutes les autres facultés vers leur fin. Au moment où elle s'en détourna, il se produisit un immense désordre dans toutes les puissances de l'homme : celles-ci se portèrent d'une manière déréglée vers les biens changeants. C'est ce désordre qui prend le nom de concupiscence (a. 3) ; que le péché originel est également en tous. Le lien de la justice primitive a été également brisé pour tous : qu'un homme soit plus enclin qu'un autre à la concupiscence, cela provient des parties inférieures de l'âme et non du péché originel (a. 4).
Les désordres de la nature
En ce qui concerne les conséquences du péché originel, saint Thomas enseigne la doctrine suivante (L Il. q. 84 a. 4) : il y a pour l'homme trois sortes de biens qui subdivisent la concupiscence en triple concupiscence puis en sept vices capitaux. 1) Les biens de l'âme qui, comme les louanges et les honneurs, n'excitent nos désirs que par le jugement de notre esprit : ce sont ceux-là que l'orgueil convoite d'une manière désordonnée. 2) Les biens du corps, soit ceux qui se rapportent à la conservation de l'individu, comme le boire et le manger : de là, la gourmandise ; soit ceux qui concourent à la conservation de l'espèce, comme les plaisirs charnels que recherche la luxure. 3) Les biens extérieurs, les richesses ; tel est l'objet de l'avarice. Il y a après cela, deux autres biens que l'homme fuit à cause du mal qui les accompagne ; d'une part, il abandonne parfois son bien propre par paresse, en s'attristant du bien spirituel à cause d'une peine corporelle, c'est l'acédie ; d'autre part, il peut repousser aussi le bien du prochain, tantôt avec calme et froidement, par le péché d'envie, en s'attristant du bien d'autrui où il voit un obstacle à son excellence propre ; tantôt par un violent effort qui tend à la vengeance, et alors c'est la colère.
L'étendue des dégâts
Saint Thomas, sur l'étendue des dégâts du péché originel dans l'homme, reprend la doctrine traditionnelle (I. II. q. 85). On peut la résumer en trois points : la grâce et les dons préternaturels sont perdus... La nature est blessée... mais elle n'est pas détruite, contrairement à ce qu'affirment les protestants.
On peut expliquer cette doctrine catholique ainsi. On distingue trois choses dans le bien de la nature : 1) ses principes constitutifs, dans l'ordre ontologique ou de l'être naturel, comme les facultés ; 2) l'inclination naturelle à la vertu, dans l'ordre moral ou de l'agir naturel ; 3) le don de la justice primitive ou originelle, dans l'ordre accidentel et surnaturel.
Le ler de ces biens (l'âme et les puissances dans leur être) n'est ni détruit, ni diminué par le péché originel. Le 3e (la justice primitive reçue par Adam et Ève) a été complètement anéanti par le péché originel. Le 2e de ces biens, qui est l'inclination naturelle à la vertu est diminué par le péché... (a. 1). Le péché originel ne fait pas que l'homme ne soit plus un être raisonnable, parce qu'alors, il n'aurait plus la capacité même de pécher. Il ne détruit donc pas complètement l'inclination à la vertu.
Qu'est-ce que cette inclination à la vertu ? Saint Thomas l'explique ainsi : l'inclination est un intermédiaire entre deux choses : elle réside dans la nature raisonnable comme dans sa racine (1° chose), puis elle tend au bien moral comme vers son terme et sa fin (2éme chose). Du côté de sa racine, le péché qui n'amoindrit pas la nature elle-même, ne la diminue pas non plus ; car, s'il entamait une telle racine, la nature raisonnable finirait par disparaître. Mais du côté de son terme, il la diminue en amassant les obstacles qui entravent sa tendance vers son but : sous ce rapport, il peut même la diminuer indéfiniment, car l'homme ayant pouvoir d'ajouter péché sur péché sans limites, les obstacles peuvent se multiplier à l'infini (a. 2).
Les blessures du péché originel
Saint Thomas d'Aquin continue son exposé en expliquant quelles sont les blessures laissées par le péché originel dans l'homme (I. II. q. 85). Il enseigne que, par le péché originel, toutes les puissances de l'âme ont été privées de l'ordre qui les mettait naturellement en rapport avec la vertu. Voici le texte de saint Thomas (traduction de la Revue des jeunes) :
« Par la justice originelle, la raison contenait dans la perfection les facultés inférieures de l'âme, et elle-même, la raison, trouvait sa perfection dans la soumission à Dieu. Or, cette justice originelle a été soustraite par le péché du premier père. Et c'est pourquoi toutes les facultés de l'âme demeurent en quelque manière destituées de l'ordre respectif qui les porte naturellement à la vertu. Et on peut considérer cette destitution même comme une blessure infligée à la nature. Il y a dans l'âme quatre puissances qui peuvent être le siège de la vertu : la raison (intelligence) où réside la prudence ; la volonté où réside la justice ; l'irascible où se loge la force ; et la faculté concupiscible où est la tempérance. Par conséquent, en tant que la raison est frustrée de son adaptation au vrai, il y a blessure d'ignorance ; en tant que la volonté est frustrée de son adaptation au bien, il y a blessure de malice ; en tant qu'on a l'irascible frustré de son adaptation à ce qui est ardu, on a une blessure de faiblesse ; en tant qu'on a le concupiscible frustré de son adaptation à des plaisirs modérés par la raison, on a une blessure de concupiscence. Ce sont donc bien là les quatre blessures infligées à la nature humaine tout entière par le péché du premier père. Mais comme l'inclination au bien de la vertu est diminuée en chaque homme par le péché actuel... ce sont là aussi quatre blessures qui sont les suites des autres péchés. C'est-à-dire que par le péché, la raison se trouve hébétée surtout en matière d'action, la volonté endurcie à l'égard du bien, cependant que s'accroît de plus en plus la difficulté de bien agir et que la concupiscence s'enflamme davantage « (a. 3, corpus)
Les autres conséquences
Le grand théologien catholique donne ensuite des précisions sur les autres conséquences du péché originel (I. II. q. 85 a.5).
La justice primitive maintenait les facultés inférieures sous l'empire de la raison, et le corps sous celui de l'âme. Lorsque le péché l'a détruite, la nature humaine a été blessée dans l'âme par le dérèglement de ses puissances, et le corps est devenu corruptible. La soustraction de la justice primordiale offre l'idée de peine, ainsi que la soustraction de la grâce ; on peut en inférer que la mort et les infirmités corporelles sont des punitions du péché originel .[.. ] Dieu, dans sa justice, les a ordonnées pour le punir. C'est précisément ce qui est refusé par les Mormons. Le 2° article de leur « credo », après avoir énoncé la croyance en Dieu affirme :
« Nous croyons que l'homme ne sera pas puni pour un péché qu'il n'a pas commis. »
Le Coran nie le PECHE ORIGINEL, spécialement dans la sourate 2- La Vache- versets 30 à 37. Citons le verset 37 : « Or Adam reçut de son Seigneur certaines paroles, et Allah accepta alors son repentir. C’est Lui qui accepte le repentir, le Très-Miséricordieux. »
Ouvrir les yeux !
Emile est un traité pédagogique qui ignore la réalité de l’état présent : la blessure originelle. Yvan Gobry a décelé chez Rousseau un exemple de réalisation du principe de compensation : « Rousseau, père indifférent et incapable, abandonne sa progéniture aux enfants trouvés : libéré des soucis et des responsabilités de l'éducation, il écrit une somme de pédagogie » (Nietzsche, Téqui, 1997, p. 21). Sa propre expérience prouve la fausseté de sa théorie. Rousseau avoue d'ailleurs son irréalisme : « Ma vie entière n'a été qu'une longue rêverie ».
Chers parents, regardez vos enfants tels qu'ils sont : ils naissent avec le péché originel et ses conséquences. Le baptême a effacé la faute originelle, mais pas ses conséquences.
Dès la naissance, les enfants sont blessés dans l'intelligence par l'ignorance, dans la volonté par la malice, dans l'irascible par la faiblesse et dans le concupiscible par la concupiscence. En outre, ils ont en eux les sept vices capitaux : l'orgueil, l'envie, la colère, la paresse, l'avarice, la luxure et la gourmandise.
Il faut donc nécessairement en tenir compte dans l'éducation qui ne peut se limiter à l'instruction, et qui doit inclure la lutte contre les vices et la formation des vertus chrétiennes. Et pour ce faire,
la grâce de Dieu est absolument nécessaire.
Sources : Le Combat de la foi catholique N° 184 – Mars 2018
Le Moulin du Pin – 53290 – Beaumont-Pied-de Bœuf
Tél. : 02 73 98 74 63