MAI 1962? LA DERNI?RE COMMUNION
« Des mots qui pleurent et des larmes qui parlent » (Abraham Cowley)
Quœelle était radieuse lœaurore de ce dernier dimanche de Mai 1962 !? Le ciel était tout blanc, dœune
blancheur de gaze, où scintillaient des gouttelettes nacrées, pluie dœatomes lumineux dont la chute emplissait
lœéther dœune immense vibration quœon aurait dit minuscule. Tel une plume blanche, un nuage solitaire se
courbait au dessus de la ville, cette ville, hier si gaie, si propre, si belle qui, aujourdœhui, avait le visage gris
des malades incurables, des cancéreux à quelques jours de leur mort.
Avec le mois de Mai étaient revenus les cortèges immaculés des premiers communiants, et dans cette époque
de violence et de haine, il nœy avait rien de plus émouvant que ces enfants graves et recueillis, rayonnants de
foi et vêtus de la blancheur des lys.
Parmi eux, se trouvait Sophie Dubiton, amputée dœune jambe et quœon portait dans le cortège des
communiantes. Elle avait été lœune des premières victimes du « boucher dœOran », le général Katz,
commandant le secteur autonome dœOran qui avait donné la consigne à ses troupes essentiellement
constituées de « gens sûrs », en lœoccurrence de gendarmes mobiles, « de tirer à vue sur tout européen
qui aurait lœaudace de paraître sur une terrasse ou un balcon lors dœun bouclage ».
Les premières victimes du « boucher dœOran » furent deux adolescentes de 14 et 16 ans : Mlles
Dominiguetti et Monique Echtiron qui étendaient du linge sur leur balcon. Elles furent tuées par les
gendarmes. Les projectiles dœune mitrailleuse lourde de 12/7 traversèrent la façade et fauchèrent dans leur
appartement, Mme Amoignan née Dubiton, dont le père était déjà tombé sous les balles dœun terroriste du
FLN, ainsi que sa petite fille, Sophie, âgée de deux ans et demi et sa s ur, Frédérique, âgée de treize ans qui,
atteinte à la jambe, eut le nerf sciatique arraché et dut être amputée.
Pourquoi lui refuser, malgré lœatrocité de la situation, le droit à la robe blanche et à la douceur de la
cérémonie ? Elle nœaurait pas compris, elle, petite victime innocente, quelle nouvelle punition on lui imposait
après tant de souffrances imméritées.
Alors, toute parée, superbe dans ces blancheurs dœétoffe qui lœentouraient comme dœun rayonnement de
candeur, Frédérique, se sentait enveloppée dœamour, réchauffée par les sourires lumineux de ses voisins et
amis qui lui témoignaient leur tendresse et lœastre radieux, semblait une pluie dœor qui ruisselait de ses mains
Et cette vision insolite de ces enfants encadrés de C.R.S !? parce que leur quartier étant bouclé par suite
dœune perquisition générale, on nœavait pas le droit dœen sortir, sinon avec ces charmants messieurs. Cœétait
grotesque et digne dœUbu Roi ! Ces petites filles parées de blanc, se rendant vers lœaumônerie du lycée,
ridiculisaient par leur innocence la faconde de ces matamores qui les accompagnaient dœun air soupçonneux.
Pensez donc, si elles allaient emporter sous leurs voiles les tracts et les armes de lœOAS ! On massa les
enfants, place de la Bastille, avec les mitrailleuses braquées sur eux. Et le chanoine, sur le devant de son
église, bénit les communiants en disant :
« Aujourdœhui, pour venir ici vous avez dû franchir les armées ; vous avez franchi les armées de Satan
! Ne lœoubliez jamais ! Que cela vous reste comme le symbole, lœexemple de ce que vous devrez
toujours être prêts à faire : franchir les armées du démon pour venir à la maison de Dieu. »
Après cette déclaration, le chanoine fut arrêté?
Comme on a raison de cacher aux enfants la vue des laideurs humaines. Le triomphe de la force, la victoire de
lœinjustice, sont des secousses trop violentes pour eux. Ils doivent croire longtemps que Dieu intervient en
faveur des belles causes, que le Mal ne peut prévaloir contre lœamour et le sacrifice. Quand lœâme a pris ce
pli de foi dans lœenfance, rien après ne lœefface plus. Ces petits êtres vêtus de blanc, ont été dépouillés trop
jeunes de leur tunique dœillusions. Ils ont vu que leurs prières dœenfants purs ne touchaient pas le ciel, que la
tendresse de leurs parents ne pouvait pas les protéger contre les abus de la force, quœune balle bien dirigée ou
quœun couteau trop vif valait plus que cent c urs vaillants? et de ce jour, ils sont restés tristes de cette
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