MUHAMMAD
SA SIGNIFICATION - SON ORIGINE
Marcel Pere
"Mhmd", un surnom significatif
La dénomination de "muḥammad n'apparait pas antérieurement à l'existence du chef de guerre de ce nom (1408) ; en revanche, elle devint un prénom très courant par la suite.
Aussi, les chercheurs ont pensé, et depuis longtemps (1409), qu'il devait s'agir d'un surnom. La Chronique (arménienne) de Sebêos, document datant des années 660, orthographie "Mḥmt"(1410) et le dinar de 'Abd al-Malik (696), "mḥmd" .
S'il s'agit d'un surnom, pourquoi fut-il attribué au chef de guerre des proto-musulmans ? Que signifie-t-il ? La seconde question conditionne la précédente.
L'arabe confère à ce surnom de mu-ḥammad une signification peu éclairante. Bâti sur le verbe ḥamida signifiant louer selon le sens officiel -ou louer Dieu (ḥammada) à la forme intensive -, ce nom se traduit ainsi : "celui qui est très loué". Cette signification s'accorde un peu trop bien avec l'apologétique élaborée à partir de ce nom. Pour sa part, Antoine Moussali traduit :
"celui en qui se fait l'action de grâce". Que ce soit avec l'une ou l'autre signification, un tel surnom pour un chef de guerre laisse perplexe !
Une signification au goût de programme eschatologique !
John WANSBROUGH est perplexe pour une autre raison. Le texte coranique ne corrobore pas réellement la signification supposée de la racine "ḥmd":
"A l'exception de s.3,188, des formes verbales basées sur la racine "hmd n'apparaissent pas dans le Coran, alors que des formes de la racine sbḥ [exprimant la louange de Dieu] sont fréquentes" (1411).
En fait, la question qu'il soulève est celle-ci. Parmi les 63 occurrences de la racine ḥmd dans le Coran (sans compter les cinq qui se rapportent à Muḥammad. trois sont des insertions), une série associe le substantif hamd au verbe louer (sabbaḥa): dès lors, hamd ne peut pas signifier louange -
mais quelque chose d'approchant et de difficile à saisir :
"Le tonnerre loue (sbh) avec Son -(bi-hamdi-Hi)" (s.13,13).
"Les sept cieux et la terre Le louent (sbh) ainsi que ceux qui s'y [trouvent]. Et il n'est aucune chose qui ne loue (sbh) avec Son -(bi-hamdi-Hi)" (s.17,44).
"Et loue (sbb) avec Son(bi-hamdi-H)" (s.25,58).
D'autres versets font difficulté, parfois même sans la présence de la racine sbh:
"Le jour où Il vous appellera, vous répondrez avec Son (bi-hamdi-Hi)" (s.17,52).
En s.17,79, il est question de ceux qui, ayant récité l'Office de prières, seront ressuscités « maqâm" maḥmûda" c'est-à-dire "en position debout glorifiée" (trad. HAMIDULLAH) (1412).
La signification s'entrevoit mais échappe. Que dit l'hébreu de cette racine ḥmd ?
Les trois occurrences du livre de Daniel :
La racine ḥmd se rencontre 42 fois dans la Bible, et le sens est toujours autre que celui de louer : il tourne autour de l'idée de désirer, convoiter (141). A première vue, cela n'éclaire guère le surnom de "muḥammad". Cependant, trois de ces Occurrences se rapportent à un personnage unique et bien précis : Daniel, qui est également le livre le plus lu dans la mouvance messianiste. Est-ce un hasard que la presque unique citation textuelle du texte biblique dans le Coran soit justement tirée de ce prophète (Dieu le Vivant le Subsistant) ?
Les trois occurrences de la racine ḥmd apparaissent : expression qui est surnom donné à Daniel "is-hamudôt" ou homme des prédilections (comme on traduit habituellement). Or, Kurt HRUBY¹4-(1415) a mis en évidence l'équivalence existant entre le s-ḥamudôt biblique et le mu-ḥammad arabe (le préfixe mu correspondant au iš hébraïque). Ce surnom est conféré par l'Ange Gabriel à Daniel en ces trois passages (dont nous avons déjà cité le premier à propos du "sceau des Prophètes") (1416):
..
Au début de tes supplications a surgi une parole et je suis venu te l'annoncer, car tu es [l'homme] des prédilections ! Comprends la parole et aie l'intelligence (1, hâbén) de la vision ! Il a été fixé 70 septénaires sur ton peuple et sur ta ville sainte... pour sceller (ann,la-betom) vision (bázón) et prophète (nabi) et pour oindre (Пwn, le-mešoah) un Saint des Saints (qodès qodášîm) (Daniel 9,23-24).
دو
Et l'homme me dit: "Daniel, homme des prédilections, ..." (Daniel 10,11).
Puis il me dit: "Ne crains pas, homme des prédilections ! ..." (Daniel 10,19).
Rendre -hamudot par "homme des prédilections" exprime le point de vue de Dieu (il s'agit des prédilections de Dieu), à la manière dont on prénomme Désiré (par Dieu). Cependant, cela concerne ici un adulte qui a mérité d'être désiré, au sens où lui-même a désiré plaire à Dieu dans sa vie et dans ses actions : telle est la perspective daniélique.
Selon le premier passage cité, l'Ange annonce que les prophéties vont être scellées et promet l'inauguration sacrale d'un Temple nouveau. Cette vision prendra une portée capitale après la destruction du Temple en 70, en rapport avec un autre passage-clef :
"Je regardais dans les visions de la nuit, et voici qu'avec les nuées du ciel venait comme un Fils d'Homme ; il arriva jusqu'au Vieillard, et on le fit approcher en sa présence. Et il lui fut donné souveraineté, gloire et royauté : les gens de tous peuples, nations et langues le servaient. Sa souveraineté est une souveraineté éternelle qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera jamais détruite" (Daniel 7,13-14). (1417)
Jésus s'attribua cette figure apocalyptique du Fils d'Homme" mais ne l'envisageait pas dans une perspective politico-mystique, affirmant au contraire que sa Royauté ne viendrait pas de ce monde (Jean 18,36) ; les judéo-chrétiens récusaient également une telle perspective. Mais la dérive judéo-nazaréenne, recueillant les tendances messianistes anciennes, va réinterpréter en ce sens le rapport entre les prophéties et le Messie-Jésus. Dans le contexte mystique du "Nouvel Exode" élaboré à Yatrib, le surnom de m-ḥmd donné au chef des alliés arabes prend alors tout son sens.
Il est clair ainsi que, conformément au texte coranique, le surnom de Muḥammad s'explique dans la perspective eschatologique tirée du livre de Daniel.
Le discours musulman a donné à ce surnom une signification différente, impliquant un glissement délibéré de sens ; la raison apologétique, et il convient de la regarder ici.
. L'apologétique bâtie tardivement sur ce surnom.
La signification de "très loue" donné au surnom de Muḥammad est une exigence de la légendologie, sans quoi il manquerait un maillon dans le schéma où un messager-rasûl doit annoncer le suivant, c'est-à-dire : Moïse-Jésus-Muḥammad.
Nous avons vu que dans la « Tôra", Moïse annonce un prophète après lui (Dt 18), et qu'en s.61,6 , une insertion fait annoncer par 'Îsa-Jésus un certain aḥmad. Ce serait parfait si, dans les évangiles, une parole de Jésus pouvait être lue comme annonçant aḥmad ou muḥammad. Avant les Califes, des passages de Jean avaient été utilisés souvent déjà - par exemple par les manichéens (1420) pour montrer que Jésus n'avait pas annoncé des faux prophètes après lui (Mt 7,15; 24,11.24 || Marc 13,22):ce sont les passages où Jésus annonce la venue d'un Paraclet-- que Пapaxantos (Jean 15,26; 14,16.26; 16,7), ou Esprit de Vérité (Jean14,13).
Quel est l'objectif à atteindre ? Ce n'est pas seulement de montrer que le Paraclet est un certain personnage de l'avenir, mais que ce nom en grec signifie muḥammad en arabe. C'est seulement à ce prix qu'on pourra dire que Jésus a annoncé le Prophète de l'Islam selon l'évangile de Jean.
Il se fait qu'en syriaque, le mot parakletos - menaḥhemânâ- offre une lointaine assonance avec muḥammad (en fait, les racines respectives ne sont pas du tout les mêmes (1421)).
Ibn ISHAQ (m.767) fait ainsi dire à Jésus :
"Lorsque viendra le Munḥamanna, celui que Dieu vous enverra de chez le Seigneur, l'Esprit de Sainteté, celui qui de chez le Seigneur est sorti ; lui sera témoin pour moi, et vous aussi parce qu'anciennement vous fûtes avec moi. Je vous l'ai dit pour que vous ne doutiez pas"(1422).
C'est une citation de Jean 15,23-16,1 moyennant de fortes retouches : ce n'est plus Jésus qui "enverra le Paraclet de la part du Père", mais le Seigneur qui l'enverra (1423).
Ibn ISHAQ ajoute :
"Le Munḥamanna en syriaque, c'est Muḥammad, et en rúmiyya (grec), Parakletos, Dieu le bénisse et lui donne le salut" (Sirah, I, 251).
Mais il n'explique pas en quoi "Muḥamanna en syriaque, c'est Muḥammad'. Une vague assonance, c'est un argument léger.
Idéalement, il faudrait que les deux termes présentent une signification semblable pour que l'on puisse dire que Jésus a réellement annoncé "muḥammad". Or, il n'est pas possible de modifier le sens de menaḥḥemânâ (consolateur et vivificateur (1424), qui ne convient vraiment pas pour le chef de guerre que fut le Prophète !
Donc, on se tourne vers le grec. Il faudrait que parakletos (avocat,défenseur) présente la même signification que "muḥammad". Cela semble impossible mais les apologistes au service des Califes y sont arrivés en jouant sur chacun des deux termes.
Pour les arabophones (qui, sauf exceptions, ne connaissent aucunement le grec), seules les consonnes comptent ; ainsi, en arabe, le mot parakletos se transcrit avec les mêmes lettres que le mot périklutos : brklts. Or, le mot péri-klutos (nepiкAvtos) signifie littéralement "celui dont on entend parler autour (1425), c'est-à-dire quelqu'un de renommé, donc de très loué. Il suffirait qu'à son tour, muḥammad signifie renommé ou loué pour qu'on puisse dire que brklts annoncé par Jésus, c'est en fait Muḥammad (cette argumentation ne fonctionne bien sûr qu'en milieu arabophone ; elle est à usage interne).
Donc, il faut que la racine bmd perde sa signification antérieure (1426) et prenne celle de louer. Ainsi, Muḥammad signifiera le loué, et la forme élative aḥmad, le Louable par excellence1427 ; cette forme, qui se rapproche mieux encore que muḥammad du sens de périklutos, est celle qui sera insérée au verset s.61,6. Les commentateurs anciens se plaisent à souligner que aḥmad, c'est Muḥammad, comme s'il était nécessaire d'apporter une telle précision à ce que Jésus n'aurait qu'imparfaitement su (puisqu'il s'agit d'une vision de l'avenir) 1428.
Sous l'une et l'autre forme, cette apologétique est toujours enseignée aujourd'hui. Notons que, dans les liturgies araméennes, le terme de menaḥḥemânâ n'était pas en usage, mais celui de paraqlita (son emploi doit provenir des pratiques judiciaires dans les anciens Royaumes grecs d'Orient).
Une fois de plus, il apparaît que la figure islamique de celui qui reçut le surnom de Muḥammad a été façonnée bien davantage par les exigences de la légendologie que par le souvenir laissé par le personnage historique.
Au temps d'Ibn HISÂM (m. 833 ou 834) qui reproduit Ibn ISHAQ, l'argumentation jouant sur le grec ne devait pas encore être au point puisqu'il n'en parle pas. Si l'insertion contenant le mot aḥmad est en rapport avec cette argumentation, il faut la dater très tardivement.
Quant aux autres mentions de "Muḥammad" dans le Coran, il convient de les regarder maintenant - nous en avons déjà abordé et c'est peu dire qu'elles sont aussi suspectes que celle de -"aḥmad".
Nous sommes arrivés au terme de notre étude sur le nom de "Muḥammad"; ce surnom se réfère à l'eschatologie du prophète Daniel. Quelle que soit sa forme, il est totalement absent du texte coranique, ce qui n'a rien de surprenant : certes, l'auteur des feuillets coraniques primitifs s'adresse parfois plus spécialement au chef de guerre qu'il était, mais il n'a jamais transcrit son surnom, il n'avait du reste aucune raison de le faire.
Certains n'ont pas osé regarder posément l'énormité des manipulations subies par le texte, ce qui est compréhensible.
Elles ne sont imaginables que dans la lumière du caractère tout à fait unique et donc incomparable - du Coran : aucun texte au monde n'a été compilé pour lui faire dire peu à peu radicalement autre chose que ce qui y est écrit : accréditer un passé fictif et fonder l'idée d'une troisième Révélation faite Livre. Finalement, la fabrication, devenue obscure à force de manipulations successives, était déclarée incréée. Le sommet de la contradiction était atteint, mais, au fond, il s'agit presque d'une anecdote par la contradiction fondamentale héritée des judéonazaréens : se prétendre choisis par Dieu pour sauver un monde que seul Dieu peut sauver !
Père Edouard -Marie :
LE MESSIE ET SON PROPHÈTE - TOME 2
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1408 En sens contraire, René AIGRAIN se réfère à l'unique mention de ce "prénom" que l'on puisse invoquer comme étant antérieure à l'Islam (in art.Arabie in DHGE, col.1263; il renvoie à de VOGUE, Inscriptions sémitiques, 124/4 qui renvoie au Corpus inscr. graec.). Il s'agirait de la forme au μоaμs, [thai] moamedès, gravée sur une inscription bilingue grecque-araméenne de Palmyre datant de 115-114 avant Jésus-Christ. En fait, il ne semble même pas disposer du reste de l'inscription, qui peut-être donnerait un sens à cette forme incompréhensible en soi (et très douteuse). Nous la mentionnons par acquit de conscience.
1409 René AIGRAIN mentionne ses devanciers Sprenger, Hirschfeld, Caëtani, Huart, Nöldeke et Rösch, pour lesquels "muḥammad" est indubitablement un surnom.
1410 Texte traduit par MACLER, Histoire d'Héraclius..., Paris, 1904, p.94-96.
1411 WANSBROUGH John E., Quranic Studies..., p.17.
1412 Pour une raison inexpliquée, la traduction de BLACHERE omet toute la seconde moitié du verset s.17,79: "Il se peut que ton Seigneur te ressuscite en position debout glorifiée" (trad. HAMIDULLAH).
1413 TП, bámad (désirer), bèmèd (séduisant, gentil), hèmedab (splendeur): Gn2,9;3,6; Ex 20,17; 34,24; Dt 5,21; 7,25; Josué 7,21; 1Samuel 9,20; Isaïe 1,29;
2,16; 27,2; 32,12; 44,9; 53,2; Proverbes 1,22; 6,65; 12,12; 21,20; Jérémie 3,19.12,10; 25,34; Ezéchiel 23,6.12.23; 26,12; Osée 13,15; Amos 5,11;221
Michée 2,2; Nahum 2,10; Aggée 2,7; Zacharie 7,14; Ps 19,11; 39,12; 68,17;
106,24; Job 20,20; Ct 2,3; Daniel 11,8.37; 2Ch 21,20; 32,27; 36,10.
.1414 A l'expression araméenne de Daniel 6,27: "êlâha bayya w qayyam" correspond celle de s.2,255 (verset dit "du Trône"): Allah"... l-hayy" l-qayyum"".
1415 Cf. BONNET-EYMARD Bruno et HRUBY Kurt, Le Coran..., St-Parres-les-Vaudes, t. 2, p.120.242. .1416 Respectivement en 3.1.6.3 à propos de l'insertion à s.61,6 selon la version de Ubayy, et 3.1.6.3.2 à propos de l'utilisation de ce même verset de Daniel 9,24 par les Manichéens.
.1418 Une source quasiment contemporaine discute la valeur du prophétisme du chef de guerre arabe qui annonce la venue du Messie, cf. 3.1.4.3.1, ce qu'on reverra plus en détail en 3.6.3.2.
.1419 Son découvreur, JAMME, influencé par la ressemblance avec le nom du "Prophète de l'Islam", la rend selon la signification islamique de la racine ḥmd:
"Lord of the Jews. By the Praised One". C'est évidemment le sens hébraïque qui devrait primer pour une invocation gravée sous la direction de Juifs. Kurt HRUBY a tiré cette inscription du Dictionary de BIELLA, art. ḥmd, p.179, inscription J 1028 /12. Cf. BONNET-EYMARD Bruno, Le Coran, traduction et commentaire systématique [1988-93], t. 2, St-Parres-les-Vaudes, 1990, p.120.242.
Je vous renvoie à l’article précédent :
http://www.torah-injil-jesus.com/pages/ahmad-periklytos-1.html