publie une nouvelle traduction française du livre saint des musulmans.
Le Temps, Genève, Vendredi 25 avril 2008
Une nouvelle édition du Coran paraît ces jours en français et en arabe aux éditions de L'Aire à Vevey.
Elle est l' uvre de Sami Awad Aldeeb Abu-Sahlieh, un Arabe chrétien naturalisé suisse, juriste spécialisé
dans le droit musulman (lire ci-dessous). Elle fera certainement date. Car son approche et son appareil critique
offrent la possibilité de remettre en question plusieurs tabous qui figent la lecture et l'interprétation du Coran,
mais aussi d'ouvrir de nouvelles perspectives exégétiques. Nul doute qu'elle créera aussi le débat, bien que
l'intention de son auteur ne soit aucunement polémique.
Cependant, la «grande rigueur scientifique» de ce Coran est d'emblée saluée dans un avant-propos signé par :
Rachid Benzine, chercheur musulman associé à l'Observatoire du religieux d'Aix-en-Provence et auteur de
Christian Delorme, prêtre catholique du diocèse de Lyon respecté des musulmans et très engagé depuis une
trentaine d'années dans le dialogue islamo-chrétien.
«Sami Aldeeb a accompagné sa traduction de très nombreuses notes qui prennent en compte les plus récentes
recherches historiques et linguistiques, écrivent-ils. Il s'agit donc d'un travail de type critique, mais cette
approche n'en est pas moins fort respectueuse de tout ce que représente ce texte pour les musulmans.»
Le Coran de Sami Aldeeb se distingue à plusieurs égards. Mais sa singularité tient essentiellement au fait qu'il
présente les chapitres du Coran dans l'ordre chronologique de la révélation faite à Mahomet.
Comme l'écrit le juriste dans sa présentation, «l'ordre actuel du Coran pose un problème de compréhension.
On peut dire que nous lisons aujourd'hui le Coran presque à l'envers puisque les premiers chapitres, les plus
longs, sont d'une façon générale formés de révélations parvenues à Mahomet vers la fin de sa vie.
L'ordre chronologique du Coran est important pour les historiens qui veulent comprendre les étapes de la
révélation. Mais il l'est aussi pour les juristes. En effet, le Coran comporte des normes juridiques qui ont
évolué, certaines en ayant abrogé d'autres. Afin de déterminer les passages abrogés et ceux qui les abrogent, il
faut savoir lesquels ont précédé les autres.»
Sami Aldeeb n'est pas le premier à proposer le Coran dans une version chronologique. L'orientaliste Régis
Blachère avait publié en 1949-1950 une édition de ce type, mais selon ses propres critères. Pour couper court
à d'éventuelles polémiques, le juriste suisse a préféré suivre une classification chronologique des sourates
établie officiellement par l'Université d'al-Azhar au Caire, reconnue comme la plus prestigieuse du monde
musulman sunnite. Le Coran d'Aldeeb est donc l'unique à ce jour comportant la version arabe et française par
«En traduisant le Coran dans l'ordre de la révélation, j'ai voulu faciliter sa lecture, explique l'expert. Cela
permet de voir l'évolution de la pensée politique de Mahomet, et de la langue du Coran.
Les chapitres de la période mecquoise de Mahomet, au nombre de 86, sont plus courts et plus poétiques
que ceux de la période médinoise.
Ces derniers,(période médinoise) au nombre de 28,
ont un caractère législatif et normatif. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles ils ont été placés au
début du Coran. L'Etat musulman qui prenait forme avait davantage besoin de normes que de poésie.»
L'édition de Sami Aldeeb est aussi la première à indiquer
les versets abrogés et les abrogeants.
Le droit musulman prévoit en effet l'abrogation de certains versets et prescriptions du Coran sur la base
d'indications postérieures. Ainsi, l'usage général veut que les versets révélés tardivement abrogent ceux qui les
précèdent. Les islamistes fanatiques se sentent ainsi légitimés à puiser la revendication de leurs crimes dans
certains versets de la période médinoise, qui sont parmi les plus violents du Coran.
Par exemple, le verset du sabre, qui préconise le meurtre des ennemis, abrogerait selon certains savants entre
124 et 140 versets tolérants, dont le célèbre «pas de contrainte en religion».(S., 256)
Mais, souligne Aldeeb, «l'abrogation continue à soulever aujourd'hui de nombreuses controverses, et il n'y a
pas d'accord à ce sujet entre les auteurs musulmans». C'est pourquoi le juriste se limite à indiquer les versets
qui sont abrogés et ceux qui les abrogent selon ces sources contradictoires, sans porter de jugement.
Il précise cependant que, selon certains penseurs, le véritable islam serait contenu dans les sourates
révélées avant l'hégire (le départ de Mahomet pour Médine), et donc celles de la période mecquoise de
Autre caractéristique de la version d'Aldeeb: la présentation des variantes du Coran. Elle a le mérite de
montrer que le livre saint des musulmans n'est pas un texte monolithique.
Les premiers manuscrits du Coran ne contenaient ni voyelles, ni signes permettant de distinguer chaque mot et
chaque lettre. Dès les débuts de l'islam, plusieurs lectures sont apparues. Elles ont progressivement été
admises comme faisant partie de la révélation, et des savants islamiques les ont recensées.
Par exemple, les éditions égyptienne, tunisienne et marocaine du Coran diffèrent entre elles. Plus de 10000
mots du Coran ont actuellement une ou plusieurs variantes. Celles indiquées par Sami Aldeeb touchent plus
de la moitié des versets du Coran. Bien entendu, le sens de certains mots ou de certains versets change
radicalement d'une version à l'autre.
«Aucune édition du Coran en arabe ne mentionne ces variantes, affirme Sami Aldeeb. Même des
universitaires ne savent pas qu'elles existent. Elles suscitent le malaise des autorités religieuses. Car même s'il
est admis qu'elles font partie de la révélation, elles mettent en cause le dogme selon lequel le Coran est la
parole inaltérée de Dieu.»
Enfin, le renvoi aux références juives et chrétiennes du texte questionne un autre tabou qui freine la recherche
exégétique, celui de l'inimitabilité du Coran, preuve de son origine divine.
Aux yeux des musulmans, les juifs et les chrétiens ont falsifié leurs propres Ecritures, et seul le Coran est
l'authentique parole de Dieu.
«Dire que le Coran a repris des écrits qui l'ont précédé signifie que Mahomet ne les a pas reçus de Dieu», écrit
Sami Aldeeb dans son introduction.
[NDLR : MUHAMMAD HAMIDULLAH recommande de se reporter à la Bible pour une meilleure
compréhension des textes. Je donnerai les références ultérieurement.]
Mais le spécialiste se défend cependant d'avoir voulu contredire le dogme de l'inimitabilité:
«A l'instar d'autres traducteurs, j'ai voulu fournir au lecteur intéressé quelques éléments de comparaison.
Certains passages du Coran ne s'éclairent qu'à la lecture de la littérature hébraïque et chrétienne, souligne le
chercheur. Par exemple, certains mots ont été translittérés directement de l'hébreu à l'arabe. Si on en reste à
l'arabe, on ne comprend pas le sens de certains passages.»
La démarche de Sami Aldeeb permet d'aborder le Coran comme un ouvrage contingent, rédigé et constitué par
un ou plusieurs scribes. Ces affirmations sont en opposition avec la doctrine musulmane.
Mais aujourd'hui, plusieurs intellectuels musulmans, comme le Tunisien Abdelwahab Meddeb, appellent
leurs coreligionnaires à considérer le Coran comme l'oeuvre d'un prophète inspiré par Dieu, et à replacer les
textes fondateurs dans le contexte historique de leur apparition.
Ils suggèrent aussi d'abandonner les dogmes du Coran éternel, incréé et inimitable. Ce n'est qu'à cette
condition, disent-ils, que l'islam pourra évoluer. La version d'Aldeeb pourrait ainsi représenter une étape
importante dans une telle évolution.
Chrétien arabe d'origine palestinienne, naturalisé Suisse, Sami Aldeeb a fait ses études universitaires en
Depuis 1980, il est responsable du droit arabe et musulman à l'Institut suisse de droit comparé à Lausanne.
Il enseigne également cette matière aux Facultés de droit d'Aix-en-Provence et de Palerme. Il est aussi l'auteur
d'une vingtaine de livres et de près de 200 articles.
Sami Aldeeb lit le Coran depuis l'âge de 16 ans. Il précise qu'il publie sa version du livre saint des musulmans
à titre privé. La réalisation de cet ouvrage lui a pris cinq ans.