Anne-Marie Delcambre, Soufi ou mufti ?
Quel avenir pour l?islam ?
Paris, 2007, Desclée de Brouwer
Anne-Marie Delcambre est arabisante et spécialiste du droit musulman. Elle connaît la langue arabe classique
et tous les textes fondateurs de l?islam :
le Coran, les hadiths, les recueils de lois, les décisions des quatre écoles juridiques, qui ont été prêchés ou
écrits entre 611, au tout début de la prédication, et la fin du VIIIe siècle, quand tout a été terminé, que le licite
(ou hallal) a été distingué de l?illicite (ou haram) et que la charia, la voie à suivre et la loi à appliquer en toute
occasion dans les pays islamiques et dans ceux qui sont en passe de le devenir, a été pour toujours tracée.
Elle connaît aussi bien ces textes et traditions que les muftis et autres imams, et mieux que tous les
intellectuels laïques, dits musulmans ou d?origine musulmane, qui se répandent dans les media.
Elle a pour principales qualités le souci de la vérité, la volonté de ne rien cacher et de ne rien dissimuler,
l?ambition de tout dire de ce qui est établi, attesté, avéré. Rien ne lui est plus étranger que la tartufferie. C?est
ce qui fait la force de ses livres.
Son dernier livre Soufi ou mufti ?
a pour point de départ (cf. Introduction, p 17 à 22) les débats qu?elle a avec Daniel Pipes, ce spécialiste
américain du monde arabe et bon connaisseur de l?islam qui préface d?ailleurs son livre, au sujet de la nature
de l?islam ou du sens des textes, que ce sens soit littéral ou qu?il soit « figuré » ou symbolique.
Les termes de ce débat sont résumés par les deux mots du titre :
soufi et mufti, lesquels recouvrent une grande question :
l?islam est-il une religion (soufi) ou un droit (mufti) ?
Une mystique présentée comme libre et parfois comme libertaire, ou bien un code de normes contraignantes,
établies il y a quatorze siècles et qui s?appliquent à la vie des hommes, du berceau au tombeau, qu?elle soit
privée ou publique, aux m”urs et à l?organisation politique,
aux « arts » et à la physiologie du corps, aux rites de purification,
à l?accouplement, à la vie intellectuelle ?
Daniel Pipes penche pour le premier terme de l?alternative (soufi) ; Anne Marie Delcambre pour le second
(mufti). De fait, elle examine, sous la forme d?un dictionnaire (articles abrogation, adultère, apostasie,
blasphème, boissons alcoolisées, charia, communauté, dialogue avec l?islam, enseignement coranique,
Eurabia, fatwa, frères musulmans, gens du Livre, hérésies, homosexualité, Iran, islam de France, islam des
Lumières, islamisme, islamophobie, Israël, jihad, langue arabe, martyr, monothéisme, musique, mysticisme
musulman, orientalisme, paradis, philosophie arabe, prophète de l?islam, purification, sourates du Coran,
les grandes questions que pose l?islam.
L?article 1 abrogation est sans doute le plus important. L?abrogation est la règle qui permet d?interpréter le
Coran. La voici résumée :
Quand deux versets se contredisent sur un point, ce qui se produit souvent, la prédication de Mahomet
s?étalant sur vingt ans environ, de 611 à 632, c?est le dernier verset « révélé » qui fait autorité et qui
abroge tous les versets antérieurs.
Aussi pour lire le Coran et en comprendre le sens, il faut le lire,
non pas dans l?ordre dans lequel il est présenté (des sourates, ou ensembles de versets, les plus longues aux
sourates les plus courtes),
mais dans l?ordre chronologique dans lequel les versets ont été prêchés.
La chronologie, l?histoire réelle, la succession des faits font apparaître une rupture fondatrice : l?hégire,
c?est-à-dire le début officiel de l?islam et du comput islamique.
C?est en 622 que Mahomet a fui La Mecque, où il ne comptait que peu de disciples, pour se réfugier à
Médine, où il a levé des armées et d?où il a imposé par le sabre sa loi aux Arabes.
Les sourates de La Mecque (de 611 à 622) sont gentillettes, les sourates de Médine ne le sont pas ; elle sont
guerrières, violentes, agressives.
Chaque question, une fois exposée et illustrée par de nombreuses citations, est pensée et éclairée à la lumière
de l?alternative soufi ou mufti, et aussi tranchée, mais jamais de façon arbitraire, sans hostilité, ni partialité.
Anne-Marie Delcambre fait parler les textes, les traditions, les lois, le droit, les fatwas, etc. lesquels sont
De fait, son ouvrage est un manuel qui se lit en lecture continue et qui peut être consulté, comme le sont les
dictionnaires. Ainsi, peu à peu, d?un livre à l?autre, elle constitue une encyclopédie de l?orthodoxie
islamique qu?elle destine aux citoyens, vigilants ou éclairés, qui sont désireux de comprendre le monde et qui
ne prennent pas des vessies pour des lanternes ou qui ne croient pas que l?on puisse « changer la vie », le
monde, la société ou quoi que ce soit d?autre, à grands renforts de formules magiques ou autres, de
mensonges, de vérités tronquées, de dissimulations.