La traduction post-conciliaire du Pater.
Notre Père selon le Concile Vatican II
Notre Père qui es aux cieux,
Que ton nom soit sanctifié.
Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour.
Pardonne-nous nos offenses
Comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés,
Et ne nous soumet pas à la tentation,
Mais délivre-nous du mal. Amen
La traduction post-conciliaire du Pater.
Notre Père avant concile VATICAN II
Notre Père de « toujours »
Notre Père, qui êtes aux cieux,
Que votre nom soit sanctifié,
Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour,
Pardonnez-nous nos offenses
Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés
Et ne nous laissez pas succomber à la tentation,
Mais délivrez-nous du mal. Ainsi soit-il.
Une question vient à l'esprit : pour quelles raisons l'épiscopat conciliaire français a-t-il imposé une nouvelle
traduction du Pater alors que l'on en utilisait depuis des siècles de fort satisfaisantes.
La première raison est inhérente à la nature « révolutionnaire » du Concile et de ses suites ; il fallait créer une
rupture : « du passé faisons table rase ».
On trouvera sans doute une deuxième raison dans l'oecuménisme : en rejetant la version traditionnelle, on
voulait adopter un texte acceptable pour les protestants. D'ailleurs la traduction imposée avait eu pour auteur
en 1922 un protestant anonyme (et inculte).
Troisième raison : cette traduction introduisait comme subrepticement un tutoiement qui, en français actuel,
indique une familiarité égalitaire. La promotion du culte de l'homme implique la réduction des formes de
respect envers Dieu : toute la nouvelle liturgie en témoigne.
Le nouveau texte apporte, outre ce douteux tutoiement, quelques fautes de traduction. Par exemple, c'est une
erreur de remplacer « arrive ». par « vienne » : le verbe venir marque un mouvement dont l'aboutissement
reste vague, alors que le verbe arriver exprime au contraire l'aboutissement du mouvement. S'agissant du
règne de Dieu par la grâce, il faut évidemment conserver « arrive » conformément au texte latin (advenire
signifie arriver, advenir) et à l'enseignement de 1'Evangile. Saint Cyprien explique à propos du Pater : « Nous
demandons que le règne de Dieu nous soit rendu présent ».
Autre erreur : « quotidien » (quotidianum) veut dire « de chaque jour » et non « de ce jour ». Pourquoi
demander pour aujourd'hui le pain de ce jour ? Pour ne pas avoir le pain d'un autre jour ?
Une autre bévue constitue un contre-sens assez ridicule : la place de « aussi » dans « comme nous pardonnons
aussi ». Cet aussi, plutôt superflu, veut restituer le et latin et le kai grec. Mais il se rapporte à « nous » et non à
« pardonnons ». Il aurait fallu traduire : « comme nous aussi nous pardonnons ». Ce n'est pas la même chose
de pardonner comme Dieu le fait ou de pardonner à certains comme à d'autres.
La faute de traduction de la sixième demande, nous arrêtera plus longtemps
car elle entraîne de fâcheuses conséquences.
II faut reconnaître que se pose ici un problème délicat. Le texte latin dit en effet : et ne nos inducas in
tentationem. Mot à mot : « et ne nous conduis pas en tentation ». Le texte grec a exactement le même sens : le
verbe eisphêrein correspond à inducere ou, mieux, à inferre qui, d'après saint Augustin, se rencontrait dans
A s'en tenir au mot à mot, il faudrait comprendre que Dieu, même s'il ne tente pas lui-même, conduit l'homme
à subir la tentation, l'expose donc positivement au risque de céder au mal. C'est philosophiquement
impossible : le mal ne résulte que d'une insuffisance de bien due à la non-perfection de la création (seul Dieu
est parfait) et au mésusage par l'homme de sa liberté.
En conséquence, Dieu peut permettre le mal mais il ne peut le favoriser ; sinon il serait l'auteur d'un mal qui
limiterait le bien ; il n'aurait donc pas la perfection du bien et, limité, ne serait donc pas Dieu. C'est ce que dit
aussi la théologie catholique : « Dieu ne peut pas, en raison de son infinie perfection, être la cause d'un défaut
moral » (Louis Ott). L'Ecriture le confirme : « Ne dis pas : c'est à cause du Seigneur que je me suis écarté »
(Ecclés.). Saint Jacques précise : « Dieu ne tente personne ».
Nous nous trouvons devant une fâcheuse énigme : comment le Pater peut-il contredire la doctrine ?
L'abbé Carmignac a apporté la clef du mystère. On sait qu'il a démontré que la première version des Evangiles
synoptiques était hébraïque ; mais on avait toujours admis jusque-là que saint Matthieu avait écrit le sien en
araméen. Peu importe ici, car l'hébreu et l'araméen possèdent tous deux une conjugaison particulière, le
causatif, qui exprime à la fois la cause et l'effet : au causatif, «entrer» signifie «faire entrer ». La négation
placée devant le causatif peut s'appliquer soit à la cause soit à l'effet, selon le contexte ou le jugement du
On aura ainsi « ne pas faire entrer » ou « faire ne pas entrer ». Le sens réel du texte hébreu perdu du Pater aura
été : « fais que nous n'entrions pas en tentation ». Le traducteur grec, ne pouvant rendre sans s'écarter du mot à
mot une nuance que lui-même, sémite, sentait en grec, s'en est tenu à un décalque servile. D'où le problème.
Qu'ils aient connu ou ignoré la solution de ce problème, les commentateurs du Pater ont tous donné à la
phrase son sens réel. Origène écrit : « Il répugne de supposer que Dieu induise quiconque en tentation...
Combien n'est-il pas absurde de supposer que Dieu bon qui ne peut porter de mauvais fruits expose quelqu'un
au mal ? » Tertullien précise : « Ne nous induis pas en tentation, c'est-à-dire ne souffre pas que nous soyons
tentés ». Saint Cyprien explique qu'il est nécessaire de prier en disant : « Et ne souffre pas que nous soyons
induits en tentation ». Saint Augustin fait remarquer que beaucoup utilisent cette dernière formule « car Dieu
n'induit pas lui-même mais souffre que nous soyons induits » en nous retirant son aide à cause de nos péchés.
Saint Thomas d'Aquin donne cette dernière explication. Sainte Thérèse d'Avila écrit à propos du Pater : «
Demandons (à Dieu) qu'il ne permette pas que nous succombions à la tentation ».
Au XVIIe siècle, le Père Médaille précise que « nous prions (Dieu) de ne pas souffrir que nous commettions
(des péchés) à l'avenir en succombant à la tentation » ; et Bossuet, commentant la même sixième demande, dit
qu'« il faut entendre : ne permettez pas que nous y entrions (en tentation) ».
Cette dernière citation montre quel sens Bossuet assignait à la traduction que reprenait son catéchisme : « ne
nous induisez pas... ». D'autres auteurs gardent le même mot à mot, mais dans le même esprit. Ainsi Calvin en
1541 : « ne nous induy point » ; le protestant Segond fera de même. Citons aussi le célèbre liturgiste Le Brun
en 1716 et divers livres de prières.
On a plus généralement sacrifié le mot à mot en faveur de formules plus proches du sens réel, souvent
analogues à celles que donnaient déjà saint Cyprien et saint Augustin. On rencontre dès le XIII° siècle :
« Et ne suffrez que nus seim tempté ». Un synode de Tours en 1396 donne : « Et ne nous laisse point choir en
tentation ». Gerson en 1507 et Benoist, curé de Saint-Eustache en 1574, ont à peu près une même formule : «
Et ne permettez pas que nous soyons vaincus en tentation ». Gondy, évêque de Paris, est plus bref en 1572 : «
ne nous laisse tomber... ». Le mot « succomber » apparaît au XVII° siècle où Le Maistre de Sacy écrit
cependant : « Et ne nous abandonnez point à la tentation ». La formule « Et ne nous laissez pas succomber »
s'imposera le plus souvent dès la fin du XVIIe siècle. La société biblique de France (protestante), en 1930, et
l'église grecque orthodoxe de Paris, en 1955, traduisent : « Et ne nous laisse pas succomber à la tentation ».
Le nouveau texte imposé par l'épiscopat fait table rase de tout cela. Il ne conserve pas la périphrase devenue
classique. (et ne nous laissez pas succomber à la tentation ) II n'en imagine pas une autre de sens comparable.
II ne reprend même pas le verbe « induire » dans le sens défini par les Pères de l'Eglise. Non. II traduit
bravement : « Et ne nous soumets pas à la tentation ». II n'y a plus d'exégèse possible, aucune échappatoire,
car soumettre n'équivaut pas à inducere, induire. Induire, c'est « conduire vers » ; Satan peut nous conduire
vers la tentation si Dieu ne s'y oppose pas. Soumettre, c'est « placer sous », c'est réduire à l'obéissance ; Satan
ne peut pas soumettre nos âmes au mal ni à la tentation qui les y amène ; pas même en cas de possession. Pour
le texte imposé, Dieu ne se contente donc pas de laisser Satan nous tenter en raison de nos fautes et pour nous
mettre à l'épreuve : il nous soumet lui-même à la tentation. Même si l'on suppose que Satan est l'agent de la
tentation, on n'en accuse pas moins Dieu d'en être l'auteur principal.
« Que nul, lorsqu'il est tenté ne dise : ?C'est Dieu qui me tente' ; car Dieu ne saurait être tenté de mal, et
lui-même ne tente personne. » Epître de St Jacques 1, 13 ? Ps. 5, 5.
Accuser Dieu de nous soumettre à la tentation, donc de nous incliner au mal, même si nous devons sortir
vainqueurs de l'épreuve, n'est-ce pas injurieux à son égard ? La faute à qui ?